Experiences :
2. Entretien avec une personne amputée
Pour cette partie, nous nous sommes tournées plutôt vers le côté humain de notre sujet ; nous voulions avoir un avis bien précis d'une personne portant des prothèses afin d'apporter de nouvelles perspectives à notre TPE. Nous avons donc établi un contact avec un monsieur habitant dans le bâtiment de l'une d'entre nous. Ainsi, nous avons pris rendez vous avec lui afin de lui poser quelques questions.

“Le modèle de prothèses que je porte, on ne le trouve pas beaucoup mais il me convient bien”
Thierry, invalide
Nous avons commencé par nous assoir tous les quatre. Nous avions préparé des questions sur une feuille. Nous avons respecté le choix de l'interviewé qui préférait ne pas être filmé durant l'entretien. Nous avons pu néanmoins enregistrer la conversation.
Tout d'abord, pouvez vous nous expliquer comment fonctionne votre prothèse ?
Thierry est invalide depuis plusieurs années. Suite à un accident, il a du se faire amputer les deux jambes au niveau du tibia. Il possède aujourd'hui un prothèse pour chaque jambe. Le système de prothèses qu'il porte est un système 3S. (voir photo)
Qu'appelez-vous prothèse ? Moi, c'est l'outil dans lequel je vis. Ma prothèse est en deux parties : la première est celle de la jambe en elle même (1) et la seconde est celle du manchon qui permet de relier la jambe à mon moignon (2). Ma prothèse est en fait constituée d'une lame en carbone et d'un talon pour avoir un appui.
Le plus important c'est que la prothèse enveloppe le moignon : il y a un manchon de confort et un manchon de contact très fin qui est caractéristique de ce type de prothèses. Il existe en effet plusieurs systèmes de prothèses selon les manchons qu'on utilise. Il doit y avoir un contact maximal entre la prothèse et mon moignon. La partie fine qui est en contact permanent avec ma peau a été confectionnée suivant un système de moulage avec des bandes plâtrées. Cette partie fine correspond donc à la forme particulière de chaque
individu. On procède de la même manière pour fabriquer la partie du dessus. Il faut savoir que tous les moignons ne se valent pas, les miens ont eu beaucoup de fractures ce qui fait que mes moignons sont pleins de creux et de bosses. Il faut que la prothèse soit complètement adaptée au moignon afin que ce dernier soit en face du creux de la prothèse, ni trop épaix ni pas assez.
Au bout de quelques heures avec le port des prothèses, ces difformités constituent un mal être important, au bout d'une journée la douleur en devient assez insuportable.
Vous ressentez souvent des douleurs ?
Oui, on peut souvent se blesser. Pendant plus d'un an et demi, j'ai eu des blessures qui n'ont pas cicatrisé. De plus, l'humidité de la prothèse n'est pas bonne pour les cicatrices. Il existe des manchons plus confortables, plus épais mais bien plus lourds. Ici je possède un mécanisme aves un bouton et une tige (3) qui appartient au manchon, elle n'est pas vissée dans le moignon. Quand je l'enfonce elle vient s'enclencher dans le système qui est au bout. Théoriquement, je ne peux pas perdre ma prothèse, mais en pratique on peut parfois la perdre. Ce système me permet néanmoins de relativement bien garder mes prothèses.
Il existerait d'autres systèmes plus confortables ?
Oui il existe d'autres systèmes, qui seraient plus confortables avec les manchons beaucoup plus épais mais ils nécessitent l'ajout d'une genouillère afin d'empêcher que l'air ne s'échappe. Ici mon moignon est maintenu au bout avec la tige, tandis que dans l'autre système, on effectue une dépression de l'air, on le chasse. Quand on enfonce notre moignon, l'air s'en va, il ne doit pas re-rentrer donc il faut une autre couche en plus. Selon les systèmes, il y a des fonctionnalités bonnes comme mauvaises.
Cela dépend de l'activité de chaque personne. Je vis souvent en pantacourt pour refaire mes réglages. Le port d'un pantalon serait beaucoup plus compliqué. Ce principe là est plus adapté, on peut voir le bas de mes jambes mais cela ne me dérange pas. Lors d'une sieste par exemple, je n'enleve pas l'intégralité de ma prothèse, je garde la première partie (1) et puis je m'allonge.

1
2
3
4
Avec quels matériaux sont constituées vos prothèses exactement ?
Mes prothèses sont faites de carbone car elles doivent être légères et également parce que le carbone permet de créer des moulages très fins et très résistants. Quand on veut alléger des performances mécaniques, on utilise le plus souvent le carbone. La partie de ma prothèse qui constitue mon pied (4) est elle aussi en carbone. Contrairement à la partie supérieure de la prothèse qui est très fine, le pied est plus épais et possède plusieurs couches. L'intérêt du pied que je porte est son élasticité. Ici, cela fonctionne par pression c'est à dire que tout le poids de mon corps est réparti dans le creux de l'emboiture. J'appuie donc sur toutes les parties de mon moignon; si j'appuyais uniquement sur le bout, cela causerait de très grandes douleurs. Une des caractéristiques techniques de la lame au niveau du pied est son élasticité. Quand l'on commande une paire ou un pied chez son prothésiste, il nous demande notre poids et notre niveau d'activité.
Dans les médias on a pu voir l'apparition de genoux articulés, des genoux assistés par un ordinateur, pour les jambes et pour les mains également.
Pour moi il ne s'agit pas de ce type de prothèses. Mes prothèses consistent plutôt en un exosquelette sans moteur, sans matériaux électriques.
Quels sont les avantages de votre prothèses par rapport à celles qui comportent une partie électrique ?
Un des avantages c'est qu'elles ne tombent pas en panne. Un mouvement mécanique de la prothèse serait sujet à des disfonctionnements, comme pour les batteries qui tombent généralement très vite en panne. Si l'on ne recharge pas ses prothèses pendant la nuit par exemple, on ne pourra pas les utiliser le lendemain, on devra s'en dispenser ce qui constitue un énorme handicap. Je pense que certaines prothèses sont théoriquement très performantes, mais elles ne sont dans la pratique pas très au point.
J'ai quant à moi besoin de mes prothèses tous les jours, et j'ai préféré les adapter à plusieurs sports plutot que d'acheter, des prothèses pour chaque sport et je n'en ai pas forcément les moyens. Par exemple pour aller nager, mon pied ne s'articulera pas. J'ai trouvé une alternative consistant à mettre au bout de ma
prothèse une palme et de l'attacher à l'aide de ruban adhésif autour de la cuisse. Il existe des pieds articulés, mais il en faudrait alors des différents pour chaque sport. Je préfere ce modèle qui est adaptable.
Quelles en sont les limites ?
Il y a bien sûr les limites qu'impose le constructeur. Par exemple, il ne faut pas utiliser la prothèse plus de 8 heures par jour. Je possède des supports verticaux en mousse qui permettent de laisser au repos mes jambes. Mais au bout de 8 heures, ma journée n'est pas terminée. Si je devais finir ma journée en fauteuil, ça serait totalement embêtant. Donc je garde mes jambes toute la journée, ce qui n'est pas très bon mais ça constitue mon mode de vie. Si l'on écoutait tout ce que les constructeurs nous disaient, on ne vivrait pas très bien. On a aussi des contraintes par rapport à l'hygiène : je dois laver mes manchons tous les jours car ils sont au contact de la peau. L'air ne passe pas dans la journée donc il faut que ça soit le plus propre possible, le plus souvent possible. Ce sont des contraintes assez pénibles. Quand je vais me laver il me faut un tabouret, il faut relativement de place et quand je dois me lever la nuit je dois remettre mes prothèses également. Mais après, on prend la vie comme elle vient je dirais. Selon comment on la regarde on peut relativiser. Finalement c'est une vie comme une autre il faut vivre avec. Je vis à présent la vie de monsieur tout le monde avec mes prothèses. On a tous des handicaps je pense, on ne s'en rend pas forcément compte et puis il faut prendre du recul. On est issu d'une société qui voit le handicap d'une certaine manière.
Et comment vous êtes vous procuré vos prothèses ?
Bien, grâce à la sécurité sociale en France, j'ai pu recevoir des soins pris en charge. On m'a ensuite proposé des prothèses. J'ai alors commencé à m'intéresser aux différentes prothèses sur le marché. Les sites internet étaient principalemlent anglo-saxons. J'ai du faire pas mal de recherches. J'ai été appareillé à Valenton où il existe un institut qui draine pas mal d'amputés, mais cela ne m'a pas convenu. Grâce à des recherches sur internet, j'ai établi un contact avec un monsieur du coté de Chambéry, qui m'a conseillé d'aller le voir, lui et son prothésiste. J'ai donc été me faire appareillé à Grenoble chez une personne qui équipe pas mal de sportifs et notamment certains médaillés olympiques. C'est un monsieur qui a une certaine conception des prothèses et moi cela me convenait mieux. Ce modèle là en particulier, on ne le trouve pas beaucoup. C'est un système qui me convient. Avec ces prothèses, c'est difficile à expliquer mais c'est comme si je retrouvais mes orteils. J'ai un bon contact avec le sol.

Avez-vous eu besoin de réeducation?
Les premières prothèses que j'ai portées étaient en plâtre. Il s'agissait de prothèses d'essai qui étaient très lourdes. J'ai fait quelques séances de kiné mais ça ne m'a pas aidé. Je n'ai pas perdu mon équilibre en fait, donc je n'ai pas eu à me poser trop de questions. J'ai dû remuscler mes cuisses, surtout car je voulais reprendre le sport, et c'était important d'avoir du muscle. Ma colonne avait été touchée ce qui a eu un impact sur mes muscles, certains ne répondent plus. J'ai donc travaillé avec de l'électricité afin qu'ils soient sollicités, c'était nécessaire pour éviter que je me blesse trop souvent avec mes prothèses.
Certaines personnes ont besoin de rééducation et d'entraînement notamment pour celles qui portent des prothèses contrôlables par la pensée, les prothèses myoélectriques. Ce sont des prothèses très fragiles.
Ressentez-vous des douleurs fantômes?
Quasiment tout le temps, comme la plupart des amputés. Cela pourrait paraître bête comme le pense mon médecin prothésiste, mais je préfère sentir ces douleurs. Elles me permettent de sentir que je suis vivant, de savoir où je marche et par exemple de faire la différence entre le sol de mon appartement et un tapis. Le contact du sol m'envoie un retour de sensation, c'est difficile à comprendre mais c'est comme une conservation de sens.
Dans la journée les douleurs sont supportables. En revanche dans la nuit, je ressens comme des décharges électriques qui me font souffrir. Mon moignon part dans tous les sens. Lorsque ces douleurs ne se calment pas, je prends des médicaments qui sont assez forts.
Chaque être est particulier, je suis relativement autonome.
Je dirai que le port de prothèses est différent selon les individus, certains le vivront mal et tomberont en dépression, d'autres continueront de vivre et avanceront.
Je pense aux personnes qui sont dans la même situation que moi mais dans d'autres pays. Eux n'ont pas l'hygiène que nous avons en France. Ils se créent une jambe grâce à un simple bout de bois et un morceau de pneu non désinfecté. Avec un peu, de chance il n'y aura pas d'infections. Je ne me plains pas je considère que j'ai beaucoup de chance.
Qu'est ce qu'on pourrait apporter pour améliorer votre confort?
Avant de porter des prothèses je suis resté 5 ans avec de grosses douleurs au niveau des zones de chair qui étaient attaquées par des germes. J'ai eu aussi une dizaine de fractures. Le fait de m'avoir enlevé une partie de mes jambes n'as pas supprimé la souffrance. Elle s'est disons, inscrite dans mes os. Pour moi, ça serait de pouvoir enlever toutes ces douleurs, ou les atténuer, pour conserver le contact avec le sol.
Combien avez vous déboursé pour vos deux prothèses ?
Dans un premier temps ma prothèse est faite sur moulage sur-mesure.
Entre le manchon, l'emboîture en carbone et le pied, j'en ai eu pour un peu plus de 3000€ pour une seule jambe. Mes pieds sont changés tous les 3 à 5 ans. Ils s'usent rapidement à cause des poussières et de la saleté. A force, les pieds deviennent moins élastiques. J'utilise des chaussettes pour garder mes prothèses dans le meilleur état possible.
Je change d'emboiture tous les ans environ et mes manchons sont remplacés tous les 6 mois à 1 an.
“Je préfère ressentir certaines douleurs, elles permettent de me sentir plus vivant”
Nous sommes tous différents, nous avons tous des handicaps. Ces derniers temps on parle de plus en plus des handicapés et on les voit de plus en plus dans les compétitions sportives par exemple. On en parle mais il faut savoir qu'il existe des maladies horribles dans le monde, et être amputé, porter des prothèses, ce n'est pas une maladie. Je pense surtout aux maladies orphelines qui touchent certains enfants, des maladies qui sont très rarement guéries. Les laboratoires pharmaceutiques privilégient plutôt la recherche pour les prothèses par exemple qui touche plus de personnes. Il ne faut pas oublier tout ça. Après la guerre de Sécession, le marché des prothèses a explosé, il y a eu un grand développement des systèmes prothétiques. Aujourd'hui même si elles restent à améliorer, les prothèses permettent de faire beaucoup de choses, de pratiquer des sports, d'être autonome.
propos recueillis le 27/02/2016